Rencontre avec Daniëlle Sioen

Créer des bijoux, voilà ma vraie passion. Mais ne me demandez pas de ne plus du tout me mêler de l’entreprise familiale, car j’en serais incapable. »

L’entreprise Sioen Industries s’est hissée  au rang de leader mondial dans quelques marchés de niche très spécifiques. Alors que l’industrie textile belge rencontrait de plus en plus de difficultés ces dix dernières années, Sioen Industries s’est transformée en fabricant de textile de haute qualité, produisant des vêtements de protection pour l’armée et les pompiers, de grandes toiles avec éclairage LED intégré, des bâches pour camions, du géotextile pour le renforcement de l’infrastructure et même des toiles de cultures pour des algues. L’entreprise a réalisé en 2017 un chiffre d’affaires de 473 millions d’euros et compte 4 341 collaborateurs dans 23 pays.

« La crise de 2007 nous a contraints à investir encore plus dans  l’innovation. Étant donné que nous fournissons aussi le secteur du transport, nous avons été parmi les premiers à ressentir les effets  de  la  crise », affirme Daniëlle Sioen, sœur de la CEO Michèle Sioen et membre du comité de direction. L’entreprise a dû tailler dans les coûts pour affronter la tempête. « Ce qui a permis d’investir au maximum dans la R&D et l’innovation. Nous ne sommes à vrai dire plus une entreprise textile, mais une entreprise technologique », conclut Daniëlle Sioen.

Quel défi le lancement continu de nouveaux produits innovateurs sur le marché représente-t-il ?

« Il est possible d’innover en continu, mais c’est quelque chose  que  nous  ne pouvons pas faire seuls. C’est pourquoi nous collaborons de manière très intensive avec des instituts de recherche, des universités et des fédérations sectorielles. Il est aussi important d’engager de jeunes travailleurs. Il est indéniable que les trentenaires et les quinquagénaires ont aujourd’hui un tout autre regard sur l’évolution technologique. Ce sont les jeunes qui doivent préparer l’entreprise pour l’avenir. »

Êtes-vous vous-même encore parfois étonnée de la mesure dans laquelle le textile peut être innovateur ?

« Tout va en effet très vite. Près de la moitié des produits que nous vendons aujourd’hui  n’existaient  même   pas il y a dix ans. Nous produisions dans le passé des vêtements de travail courants. Aujourd’hui, nous fabriquons des gilets pare-balles pour l’armée, des T-shirts anti-coupures et des vêtements ignifuges pour les pompiers. Nous intégrons des systèmes d’alarme et des panneaux solaires dans des toiles et développons aussi des toiles sur lesquelles il sera possible, à l’avenir, de cultiver des légumes. Il s’agit là d’aspects auxquels nous ne pensions pas encore il y a dix ans. »

Vous faites partie du comité de direction, mais vous n’exercez pas de fonction opérationnelle ou dirigeante. Est-ce un choix délibéré ?

« Après avoir travaillé pendant 18 ans au département confection, j’ai décidé il y a 12 ans de suivre une autre voie. Depuis, j’assiste encore à tous les comités de direction et je m’occupe aussi encore des relations avec les  investisseurs.  Je participe également aux roadshows destinés aux investisseurs. Je me trouve ainsi dans une situation assez unique : je suis encore étroitement impliquée dans l’entreprise, mais je peux en même temps observer les choses avec un certain recul, ce qui favorise une réflexion moins conventionnelle. Je sers aussi de caisse de résonance externe à Michèle. Et parce que nous sommes sœurs, je peux me permettre de dire des choses que des personnes extérieures à la famille n’oseraient peut-être pas formuler. Cela peut s’avérer utile. »

À quel point a-t-il été difficile d’abandonner votre fonction opérationnelle au sein de l’entreprise ?

« C’est une décision qui a été très difficile à prendre, car j’avais l’impression de laisser tomber la famille. Je travaillais avec ma maman dans le département confection. Elle avait travaillé dur toute sa vie et le but était que je reprenne un plus grand nombre de ses tâches pour qu’elle puisse progressivement arrêter ses activités. Mon départ a contrecarré ce projet, même si elle ne m’en a jamais voulu. Ce n’était donc pas évident. Mais je sentais qu’il était temps de me consacrer à d’autres passions. »

Vous avez entre-temps créé votre propre marque de bijoux. Votre expérience chez Sioen Industries vous a-t-elle servi à cet égard ?

« J’ai créé Macc Jewel quelques mois après avoir quitté  Sioen  Industries. J’ai commencé par créer une poignée de bijoux pour mes amies. Depuis, Macc Jewel a connu une croissance systématique. Je trouve cela fantastique, car c’est là ma vraie passion. Mais la seule passion ne suffit pas, il faut aussi que les affaires marchent. J’ai ainsi entamé ma première collection sur la base d’un calcul des coûts très détaillé, comme j’avais l’habitude de le faire pour les collections de vêtements de Sioen Industries. J’y ai appris à calculer, une compétence qui m’est également très utile aujourd’hui. »

Quelles sont vos ambitions en ce qui concerne votre marque de bijoux ?

« J’aimerais développer Macc Jewel au niveau international. Il n’y a bien entendu que sept jours dans une semaine. Je consacre aussi tout de même encore pas mal de temps à Sioen Industries. Et choisir entre mes bijoux et l’entreprise familiale est quasi impossible. Les bijoux sont ma vraie passion, mais j’attache aussi beaucoup d’importance au maintien du lien avec Sioen Industries. »

Sioen Industries est une entreprise familiale cotée en Bourse. N’est-ce pas un peu contradictoire ?

« En tant qu’entreprise familiale, nous avons une vision à long terme marquée. Ce  qui  n’est  pas   nécessairement   en contradiction flagrante avec une cotation en Bourse. Je constate que les actionnaires apprécient notre manière de voir les  choses,  car  qui  dit vision à long terme  dit  aussi  stabilité.  Il n’y a donc pas vraiment de contradiction avec ladite pensée à court terme de la Bourse.

Nous avons déjà prouvé à nos actionnaires que nous sommes aussi capables de nous développer en externe, avec plusieurs reprises importantes au cours de ces deux dernières années. Je suis aussi  convaincue  que  nous  ne serions pas encore là où nous en sommes sans l’introduction en Bourse. La cotation en Bourse nous a aussi contraints à nous professionnaliser davantage, ce dont nous cueillons  sans aucun doute également les fruits aujourd’hui. »

Les femmes jouent un rôle important chez Sioen. Votre mère est toujours administratrice et vos deux sœurs sont à la tête de l’entreprise : Michèle est CEO et Pascale dirige le département des produits chimiques. Ce modèle de réussite est-il en partie dû à cette touche féminine ?

« Je ne saurais le dire. Sioen Industries est avant tout une entreprise à la structure très ouverte, où tout le monde se montre fort disponible. Chaque ouvrier peut sans  problème  pousser  la porte du bureau de Michèle. C’est quelque chose de très important. Mais cette ouverture peut aussi exister dans des entreprises qui sont dirigées par des hommes. Il ne faut pas opérer de distinction entre hommes et femmes, mais plutôt apprécier quelqu’un en fonction de ses capacités individuelles. L’individu l’emporte sur le sexe. »

 

Contactez-nous