« Money time » pour la banque centrale européenne ?

L’impact des achats de soutien de la BCE sur les marchés

À l’heure actuelle, la BCE achète toujours pour 60 milliards EUR d’obligations par mois et a déjà annoncé qu’elle continuerait de le faire jusqu’à la fin de l’année. Le marché attend toutefois avec impatience de connaître les intentions de la banque début 2018, ce qui est inquiétant au vu de l’impact énorme qu'ont ces achats de soutien sur les marchés. C’est en effet le flux de liquidités généré par les banques centrales qui maintient les taux très bas : l’offre surabondante d’argent a effectivement réduit son prix (les intérêts) à zéro ou presque, à la joie des emprunteurs (surtout les gouvernements et les entreprises) et à la grande frustration des épargnants. Les taux d’intérêt ultra-bas ont à leur tour affecté les autres marchés, vu que ces épargnants sont partis activement à la recherche d'alternatives, afin de tirer quand même quelque rendement de leur capital. L’investisseur a donc continué de gravir la courbe des risques, d’abord en achetant massivement des obligations d’entreprises, puis en se tournant vers les obligations « poubelles », les actions de rendement ou l'immobilier. Ces gigantesques flux d'achat ont fait fondre comme neige au soleil le rendement supplémentaire que ces investissements plus risqués offrent en plus des obligations d'État, de sorte que ces marges de crédit se situent à présent au niveau le plus bas depuis la crise. Cependant, ils ont également gonflé la valorisation des actions ou de l’immobilier. Par conséquent, l’éventuel assèchement du flux d'achat d’obligations pourrait bien exercer un impact important, non seulement sur les marchés de crédit mais aussi sur les marchés des actions ou de l'immobilier !

 

Une diminution des achats d’actions en 2018 ?

La BCE va-t-elle diminuer ses achats d'actions à partir de 2018 ? La réponse est presque certainement oui, même si ce sera plutôt à contrecœur. En effet, l’inflation sous-jacente dans la zone euro reste trop faible au goût de la BCE. La Banque centrale préconise un niveau d’inflation juste sous la barre des 2 %, et avec 1,2 %, l'inflation sous-jacente en est trop éloignée pour pouvoir affirmer que cet objectif est atteint. De ce point de vue, il serait préférable que la BCE poursuive encore quelque temps son programme d'achat. Malheureusement, cette option ne semble pas envisageable pour Draghi car elle se heurtera au veto du courant monétaire plus conservateur au sein de la BCE, à savoir les Allemands. L'Allemagne est depuis déjà longtemps réticente à la création monétaire excessive de la BCE et estime qu’il incombe plutôt au monde politique de remettre l’économie du pays sur les rails par le biais de réformes. À ses yeux, les achats de soutien monétaire constituent davantage une excuse inadéquate pour ne pas devoir procéder aux réformes, et donc éviter de prendre ses responsabilités pour l’avenir, qu’un remède économique efficace. L’Allemagne estime que les inconvénients de cette politique monétaire (les effets secondaires néfastes précités sur les marchés, la perte de confiance dans la monnaie et l’excuse pour éviter les réformes) ne compensent pas l'avantage temporaire qu’offre le financement bon marché. Les Allemands n’ont donc accepté l’ensemble du programme de soutien qu’à certaines conditions, qui aujourd'hui, selon toute probabilité, aboutiront à une réduction des achats.

 

Des conditions qui aboutiront à une réduction des achats 

La première condition fixée au programme concernait l’interdiction pour la BCE d’avantager un pays par ses achats de soutien. Cette condition a été mise en œuvre en associant une clé de répartition aux achats, qui impose de facto à la BCE d’effectuer ses achats proportionnellement au PNB de chaque pays. Techniquement, cette clé de répartition correspond à la participation de chaque pays au capital de la BCE elle-même, mais cette participation est proportionnelle au PNB de chaque pays de la zone euro. Cette méthode permet d’éviter de privilégier un pays en achetant une quantité relativement plus élevée de ses obligations souveraines. Une seconde condition est que la BCE ne peut détenir plus de 33 % de chaque ligne obligataire, et ne peut donc jamais dépasser 33 % de la dette de chaque pays, et ce afin de permettre une certaine intervention du marché dans la définition des prix des obligations. Et ce sont précisément ces conditions qui entraînent la nécessité de démanteler le programme. En effet, le portefeuille de la BCE contient déjà tellement d’obligations de certains petits pays qu’elle doit dès à présent réduire les achats bien en deçà du maximum autorisé par la clé de répartition, sous peine d'atteindre la limite de 33 % avant la date de fin prévue du programme et de devoir alors interrompre les achats. Tel est le cas essentiellement de la dette des petits pays comme le Portugal, l’Irlande et la Finlande. Mais des tensions apparaissent également sur le grand marché liquide des obligations d'État allemandes. En effet, l’Allemagne présentant le plus grand PNB de la zone euro, la clé de répartition voudrait que les bunds soient achetées en majorité. Mais vu que l'Allemagne a une dette relativement faible par rapport à son PNB, et que la limite d'achat de 33 % est progressivement atteinte sur ce marché également, la BCE doit modérer ses achats, ce qui la place dans une situation délicate. Pour pouvoir encore acheter les 60 milliards EUR/mois nécessaires, sans acquérir beaucoup de bunds, la BCE devrait en effet acheter davantage d’obligations françaises ou italiennes que ne l'autorise la clé de répartition, et pourrait alors être accusée du financement monétaire des États membres plus faibles. Ce qui, selon les Allemands, excède le mandat légal de la BCE. Dans le passé, les Allemands n’ont pas hésité à saisir leur cour constitutionnelle pour mettre fin aux actions de la BCE qu’ils estimaient illégales, et ils pourraient le refaire aujourd'hui. Par conséquent, la BCE n’aura pas d'autre choix que de réduire les achats de soutien, à moins qu’elle ne puisse encore arracher un compromis lui permettant de renoncer à la clé de répartition...

Cette dernière option paraît peu probable. Le marché s'attend donc à une réduction progressive des achats de soutien à partir de 2018. Avec toutes les conséquences qui pourraient s’ensuivre sur les marchés du crédit sous tension et éventuellement aussi sur les marchés boursiers... Heureusement, la BCE semble pleinement consciente de l’impact que le « tapering » des achats pourrait avoir. Par conséquent, elle préconisera probablement une stratégie de communication extrêmement prudente lorsqu’elle annoncera la sortie progressive du programme de soutien. Il est très possible que la banque ne s'embarrasse pas d’un schéma temporel et financier strict, mais qu’elle restera plutôt vague quant à la manière de réduire l'aide. Elle pourra ainsi conserver la flexibilité nécessaire pour mener ses projets à bien, sans trop se faire taper sur les doigts par les marchés. Le marché s'attend en tout cas à ce que la BCE dévoile la méthode préconisée pour réduire l’aide lors de sa réunion du 7 septembre. « Money time » pour la BCE et les marchés ?      

Part dans le capital BCE (clé de répartition des achats d’obligations souveraines)   

 

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