Le collectionneur et le bibliophile
Si l’on a de tout temps collectionné les livres, la bibliophilie est un phénomène qui est apparu au 18esiècle avec le commerce des livres « d’occasion » qui se spécialise dans les mains de libraires- experts et la rédaction de manuels bibliographiques. Ces derniers seront de véritables outils pour les collectionneurs de livres rares. Certains spécialistes fixent même la naissance de la bibliophilie à 1763, année de publication de la Bibliographie instructive du libraire français Guillaume-François De Bure.
Il existe donc une différence entre le bibliophile et le collectionneur. Le premier est toujours collectionneur et envisage le livre, au-delà de son contenu, comme un objet esthétique, historique. Il collectionne les éditions rares, les belles reliures, il considère la provenance et exige un état de conservation parfait. Par contre, l’optique du collectionneur est le texte. Ainsi, il peut rechercher toutes les éditions d’un auteur qu’il affectionne, collectionner les ouvrages traitant d’une période précise de l’histoire ou encore les livres d’un imprimeur en particulier. Le collectionneur peut aussi rechercher le livre rare, très spécialisé, édité en petit nombre et épuisé.
La collection
Par « livres anciens », on entend aussi bien les livres imprimés que les manuscrits, les lettres autographes, les estampes ou les photographies anciennes. Les « livres modernes » concernent le 20e siècle : les tirages restreints ou les tirages de tête, les livres d’artistes, les reliures d’art, les manuscrits, les tapuscrits,…
Les thématiques sont aussi nombreuses que les champs de la connaissance. Les uns vont s’intéresser aux techniques d’impression, aux reliures prestigieuses, aux illustrations ; les autres aux ouvrages littéraires, scientifiques, religieux, topographiques ; à l’histoire, à la cartographie, à l’ornithologie; aux manuscrits enluminés, aux incunables, aux livres annotés, aux lettres, …
Parmi les grandes collections de bibliophiles, la collection de reliures de Michel Wittock conservée à Bruxelles à la Wittockiana, est l’une des plus remarquables et des plus importantes détenue en main privée.
Le libraire et la vente aux enchères.
Les deux sources principales du marché de la bibliophilie sont les librairies et les ventes aux enchères. Le libraire est la figure historique. Il est le plus souvent spécialisé dans un nombre restreint de domaines, parfois dans un domaine unique. C’est un métier qui requiert de la connaissance et de l’intuition et qui exige précision et patience. Certains d’entre eux sont des figures de légende, comme Pierre Berès, libraire, éditeur et collectionneur français, surnommé « le prince des libraires » ou encore « le plus grand libraire du monde ». Arrivé à Paris en 1926, il commence à collectionner les autographes à l’âge de 13 ans. Trois ans plus tard, il négocie ses premières ventes de livres et à 24 ans, ouvre sa première librairie. Parmi les acquisitions et les ventes qui ont fait sa notoriété, figure la bibliothèque Pillone, un ensemble de 178 volumes imprimés entre 1509 et 1591 et constitué par un notable vénitien. Celui-ci eut l’idée originale de confier l’ornementation des tranches à Cesare Vecellio, un peintre de l’entourage du Titien. Cette collection unique est restée dans la même famille avant d’être acquise par le bibliophile anglais Thomas Brooke en 1874, puis cédée par les héritiers de ce dernier à Berès en 1957. Mais, son plus important fait est la vente du manuscrit de Louis-Ferdinand Céline « Voyage au bout de la nuit » à la Bibliothèque Nationale de France en 2001, pour un montant de deux millions d’euros. Le manuscrit avait été échangé en 1943 par l’écrivain contre 10.000 francs et un petit tableau de Renoir et n’avait plus réapparu depuis. Trois ans avant sa mort, le libraire a orchestré lui-même la dispersion de 12.000 volumes de sa librairie au cours de sept vacations d’enchères à l’Hôtel Drouot, totalisant quelque 35,3 millions d’euros.
Les ventes aux enchères ont joué un rôle fondamental dans la pratique de la bibliophilie et les grandes collections sont le plus souvent dispersées par ce canal. Pour les amateurs, ces ventes sont des moments privilégiés qui leur permettent d’apprécier l’esprit d’autres bibliophiles, de (re)découvrir des trésors et d’acquérir des ouvrages qu’ils connaissaient et attendaient.
La première vente publique de livres connue est celle de la bibliothèque de Philippe de Marnix de Sainte Aldegonde, vendue à Leide en 1599. Un catalogue avait été imprimé pour l’occasion dont un exemplaire est conservé à Amsterdam. Cette pratique va se généraliser à partir du 18e siècle. Sotheby’s, qui est la plus ancienne maison de vente aux enchères, se spécialise dans ce domaine dès 1744 à Londres, et cela exclusivement jusque dans les années 1920. Elle a dispersé des bibliothèques prestigieuses parmi lesquelles celle de Napoléon Bonaparte. Mais, c’est surtout Paris qui s’affirme d’abord comme la capitale des ventes aux enchères de livres à côté de Londres et ensuite de New York.
Le catalogue
Les libraires et les salles de ventes rédigent et publient des catalogues décrivant les livres qu’ils proposent. Les bibliophiles en font autant avec leur collection. Les notices sont écrites selon des règles bibliographiques formalisées au 18e, puis reformulées au 19e siècle. Elles se présentent en deux parties : la première est une description objective et neutre de l’ouvrage ; la seconde est plus subjective et donne, par exemple, une appréciation de l’état de conservation. Il est important qu’elles soient les plus complètes possibles. Ces catalogues sont des ressources de premier plan. Ils ont entre autres permis de faire des recensements d’ouvrages ou d’en retrouver les propriétaires successifs.
La valeur d’un livre
Plusieurs critères sont considérés pour estimer la valeur d’un livre. Le contenu du livre, sa thématique, son importance historique sont essentiels. L’aspect esthétique et sensuel de l’objet lui-même, la beauté de sa reliure, son état de conservation le sont également. La dimension sentimentale, c’est-à-dire la provenance, n’est pas à négliger. La rareté est très certainement un critère de valeur, mais il est des livres très rares qui ne sont pas désirables et des livres tirés à un grand nombre d’exemplaires que beaucoup veulent posséder comme, par exemple, l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert.
La plus haute enchère pour un livre revient au Codex Leicester acquit par Bill Gates chez Christie’s en 1994 pour la somme de 30,8 millions de dollars. Il s’agit d’un manuscrit de 72 pages rédigé par Léonard de Vinci entre 1506 et 1510. Le texte, composé de notes scientifiques et de croquis sur l’hydraulique, l’astronomie et la géologie, est écrit à l’envers pour être lu à l’aide d’un miroir. Le Codex doit son nom à Thomas Coke, premier Comte de Leicester qui l’acheta en 1717. L’ouvrage changea de main en 1980 et fût rebaptisé Codex Hammer, du nom de son nouveau propriétaire. Bill Gates lui redonna ensuite son nom d’origine. Il existe un nombre important de manuscrits de Leonard de Vinci, mais celui-ci est le plus connu et le seul à appartenir à un collectionneur privé.
Le marché
Le marché du livre rare et ancien s’est développé à l’époque où d’importantes bibliothèques devaient être vendues, suite aux revers de fortune des grandes familles, mais surtout à la suppression de l’Ordre des Jésuites pendant la seconde moitié du 18e siècle et à la sécularisation des biens ecclésiastiques sous Napoléon. De nombreux ouvrages furent achetés par des collectionneurs américains et par les universités des États-Unis qui constituèrent des bibliothèques d’une très grande richesse. Pendant près de deux cents ans, l’exportation de livres de l’Europe vers l’Amérique fût très importante. Suite à la seconde guerre mondiale, les bibliophiles européens entrèrent dans le marché et commencèrent à rapatrier leurs livres.
Les écrits retracent l’histoire de la pensée. En sauvegardant le patrimoine écrit, les bibliothèques, les archives et les collectionneurs privés jouent un rôle déterminant dans l’enjeu de notre civilisation.