Un changement attendu
Ce changement se prépare depuis longtemps. La forte relance globale de l’économie mondiale qui se poursuit depuis la mi-2016 a rapidement fait disparaître la surcapacité de l’appareil de production. On s’attend à ce que la surcapacité ait entièrement été absorbée d’ici une bonne année, ce qui permettra aux entreprises de mieux fixer leurs prix, et entraînera donc des tensions inflationnistes. Cette expansion a également conduit, conjointement avec l’évolution démographique, à une forte baisse du chômage.
Le taux de chômage est actuellement tombé dans de nombreux pays à son niveau historiquement le plus bas, ou s’en rapproche. C’est notamment le cas aux États-Unis, au Japon, et dans des pays européens tels que l’Allemagne et les Pays-Bas.
Assez étonnamment, l’étroitesse du marché du travail n’a jusqu’à présent pas entraîné de fortes hausses salariales, ce qui a limité les tensions inflationnistes. Les banques centrales ont donc fortement hésité à augmenter le taux d’intérêt, par crainte de tordre le cou à une relance économique encore fragile. Les marchés semblent toutefois se rendre compte aujourd’hui que l’attitude des banques centrales par rapport aux tensions inflationnistes est en train de changer à toute vitesse, ce qui a conduit à un brusque changement au niveau des taux d’intérêt.
Aux Etats-Unis : la baisse des impôts et ses conséquences
Aux États-Unis, ce qui a véritablement changé la donne, c’est la baisse des impôts promise par Trump, soutenue en masse fin 2017. Avec à la clé des révisions à la hausse aussi bien de la croissance que de l’inflation pour 2018 et 2019, et la crainte d’une surchauffe de l’économie américaine. La baisse des impôts ne serait pas non plus sans effet pour le budget, et ajouterait au moins mille milliards de dollars à la dette déjà astronomique de l’Oncle Sam. Pour les marchés, qui considéraient déjà l’endettement croissant des États-Unis avec méfiance, cette situation signifie qu’ils exigeront une prime de risque supplémentaire et donc un taux d’intérêt plus élevé avant d’encore remplir les poches des États-Unis. Et l’aveu du ministre des Finances Steven Mnuchin à Davos selon lequel un dollar américain plus faible pourrait profiter aux États-Unis, a encore enfoncé un clou dans le cercueil du Trésor américain. Les investisseurs étrangers y réfléchiront en effet à deux fois avant d’investir en obligations américaines si les États-Unis affirment eux-mêmes vouloir affaiblir leur monnaie ! À tout cela s’ajoute encore que la FED a commencé depuis octobre à comprimer son bilan, et commence donc systématiquement à reprendre une partie des abondantes liquidités qu’elle a injectées dans le marché depuis 2008. Et c’est précisément à ce moment délicat de la transition vers des taux d’intérêt plus élevés que Yellen passe la main à un Powell moins expérimenté. Le marché a donc toutes les raisons de s’inquiéter…
En Europe : changement de ton de la BCE
En Europe, le compte rendu de la réunion de la BCE qui a eu lieu en décembre a complètement surpris les marchés. Le ton emprunté par le conseil d’administration de la BCE semblait davantage aller en faveur d’une hausse de taux d’intérêt, contrairement à ce à quoi s’attendait le marché. L’assemblée a ouvertement parlé de l’adaptation rapide de la stratégie de communication en vue de préparer les marchés à la fin des achats de soutien, qui pourrait donc arriver beaucoup plus vite que ce que les marchés avaient prévu. Le marché s’était en effet jusqu’à présent laissé endormir par les promesses de Mario Draghi qui n’a cessé de répéter que l’inflation était encore trop faible pour déjà penser à l’arrêt du soutien. Mais le procès-verbal de la réunion a démontré que les cerveaux de la BCE pensaient déjà beaucoup plus à l’arrêt des achats de soutien que ce à quoi le marché s’attendait.
Selon une phrase éloquente du rapport, l’Europe vit l’une des relances les plus puissantes qu’elle a connues depuis longtemps, alors que la politique monétaire se trouve toujours en mode de crise !
Le marché se rend compte avec horreur que la BCE est plus près de fermer le robinet des subventions que prévu. Ce qui a été abondement confirmé lorsque Klaas Knot, président de la banque centrale néerlandaise et membre du conseil d’administration de la BCE, a confirmé lors d’une émission télévisée qu’en ce qui le concerne, la BCE a tout intérêt à mettre un terme aux achats de soutien à la première occasion (c’est-à-dire fin septembre).
D’autres pays envoient également des signaux indiquant que la politique monétaire bon marché touche à sa fin. À Davos, Kuroda, directeur de la banque centrale japonaise, a déclaré que son pays semble enfin se rapprocher des 2% d’inflation visés, signe pour les marchés que cette banque centrale souhaite elle aussi en finir avec une politique monétaire excessivement souple. Les pays scandinaves envoient des signaux similaires. La banque centrale norvégienne a même assez littéralement laissé entendre que les marchés pouvaient s’attendre à une première hausse du taux à l’automne. Même histoire en Suède, où la Riksbank a récemment mis un terme à ses achats de soutien d’obligations. En un mot comme en cent, tout le monde semble se préparer à mettre fin à la politique monétaire exceptionnellement souple, et ainsi à tourner la dernière page d’une longue et lourde crise.
Quelles conséquences ?
Bonne ou mauvaise nouvelle ? Les malheureux épargnants ne seront certainement pas fâchés à la perspective de voir leur argent à nouveau générer un rendement minimal. Ce n’est pas non plus forcément une mauvaise nouvelle pour les entreprises : la plupart d’entre elles ont entre-temps prolongé le délai de leurs dettes en souffrance, ce qui fait qu’une hausse du taux n’aura pas nécessairement un impact important sur les résultats. Il en va de même pour les pouvoirs publics : ils ont eux aussi profité de la longue période de taux bas pour émettre des titres de dettes à long terme, et sont donc peu sensibles à une hausse du taux à court terme.
Pour les marchés, la hausse du taux est toutefois une autre paire de manches. De nombreux investisseurs ont en effet été contraints ces derniers temps de passer de taux d’intérêt ultra bas à des investissements assortis d’un degré de risque plus élevé (actions, obligations poubelles ou investissement dans les pays émergents) en vue de tenter de réaliser malgré tout un certain rendement. Ils ne sont dès lors pas rassurés par leur positionnement actuel, et, par conséquent, le marché est vulnérable aux prises de bénéfices. La tendance à la hausse du taux pourrait donc entraîner une grande volatilité sur les marchés.