An Nuyttens, oser saisir les opportunités

An Nuyttens a mené presque toute sa carrière professionnelle chez Solvay. Elle dirige désormais Silica, l’une des dix (environ) global business units de l’entreprise spécialisée en chimie et matériaux. Elle  se partage en permanence entre la France, (à Lyon, où se situe le siège de Silica) et les usines et départements Research & Innovation d’Italie, de Pologne, de Corée du Sud, de Chine, des États-Unis et du Brésil. « La silice est un produit chimique à base de sable, utilisée depuis des décennies déjà. Elle constitue un moteur important de croissance de Solvay. Grâce à nos innovations permanentes, nous sommes en mesure de développer de nouvelles applications et de commercialiser les produits de demain. » La silice se trouve dans les produits cosmétiques et de soins tels que le dentifrice, les aliments pour animaux, les piles et surtout, les pneus de voiture. Dans les années nonante, Solvay a inventé un type de silice de haute qualité, qui rend les  pneus  de  voitures  plus   économes   en énergie. L’ajout de silice au caoutchouc réduit  la  résistance   au   frottement   avec le revêtement. Résultat ? Une réduction de la consommation de carburant  et  des  rejets de CO² dans l’atmosphère.

C’est une réponse parfaite au souhait des constructeurs automobiles qui visent une mobilité plus durable. Avec le développement des véhicules électriques, les innovations en silice sont plus pertinentes que jamais, par exemple pour rendre les pneus de ces véhicules moins sensibles à l’usure. »

Ces dernières années, Solvay a connu une transformation radicale. Pourquoi était-ce nécessaire ?

« Par rapport à il y a cinq ans, Solvay se spécialise plus nettement dans les matériaux à haute performance et dans les  formules sur mesure. Ainsi, nous sommes forts d’une expertise mondiale en matériaux, qui sont utilisés dans les smart devices, dans les soins de santé pour le remplacement de prothèses, dans les piles ou dans les matériaux ultra légers, mais tellement robustes qu’ils peuvent remplacer les métaux dans les voitures ou les avions, pour les ailes ou les pièces détachées de ceux-ci. L’atout de Solvay a toujours consisté à innover et à commercialiser de nouveaux produits, mais il y a quelques années, nous avons dû constater que toutes les activités ne s’intégraient plus dans ce tableau. Pour exploiter au maximum notre propre force, nous devions changer radicalement. Avec succès. En six ans, environ 50 acquisitions et désinvestissements ont permis de modifier deux tiers de nos activités d’exploitation et, partant, notre portefeuille de clients, alors que la moitié de nos collaborateurs changeait au même moment... »

Solvay existe depuis plus de 150 ans. Dans le monde actuel, en mutation rapide, est-il encore possible de résigner pour 150 ans ?

« Continuer à innover et penser à long terme ont toujours été les ingrédients de la réussite de Solvay. La récente transformation s’inscrit totalement dans cette philosophie et doit nous permettre de continuer à rester en tête sur les marchés de l’avenir. Parallèlement, nos actionnaires jouent un rôle clé. Grâce à l’ancrage solide des actionnaires familiaux, Solvay est en mesure de voir plus loin que la maximalisation du bénéfice à court terme. Cette situation permet de garder le cap dans ce monde en mutation rapide.

Plus tôt cette année, vous avez cosigné un plaidoyer pour que davantage de femmes soient représentées dans les postes de direction. Vous considérez-vous comme un modèle ?

« Je ne veux pas me décrire comme un modèle. Je souhaite surtout partager mes expériences avec d’autres femmes, dans l’espoir de donner à quelques-unes davantage de confiance en elles. Car, à mes yeux, c’est ce qui fait le plus souvent défaut. De manière générale, les femmes sont plus réticentes à saisir les opportunités, car elles réfléchissent beaucoup plus aux conséquences de leurs choix sur leur vie de famille. Mais s’il y a bien un message que je souhaite transmettre —   à tout le monde d’ailleurs — c’est de rester ouvert aux opportunités et de les saisir afin de vivre de nouvelles expériences. Bien entendu, dans certaines périodes de la vie, il est plus difficile d’opérer des choix professionnels, mais les entreprises doivent offrir la flexibilité et l’aide nécessaires pour permettre aux collaborateurs de choisir quand ils entendent appuyer sur l’accélérateur. Et nous devons surtout éviter que ces choix soient imposés. C’est hélas régulièrement le cas pour les femmes. Un exemple typique : lorsqu’elles ont de jeunes enfants, l’on part du principe qu’elles souhaitent lever le pied. Laissez-les décider par elles-mêmes !

Qu’en est-il du nombre de femmes de direction chez Solvay ?

« Nous avons très certainement encore du chemin à parcourir en la matière. Notre objectif d’ici 2020 est de compter environ 20 pour cent de femmes parmi les seniors exécutifs. Ce n’est pas évident, car pour nombre de femmes, le secteur de la chimie n’est pas le plus attrayant ; il reste en grande partie un monde d’hommes.  Le fait  qu’il  n’y ait que 17 pour cent d’étudiantes dans nos formations d’ingénieur n’aide pas non plus. C’est donc un défi pour Solvay d’attirer des femmes, même si ce n’est pas une excuse derrière laquelle nous pouvons nous cacher. »

Vous vous êtes forgé une solide expérience à l’étranger. Que vous a-t-elle appris ?

« J’ai travaillé cinq ans aux États-Unis et aujourd’hui, je voyage en permanence dans le monde entier. Je suis ainsi plongée dans d’autres cultures. C’est une très grande plus- value pour une bonne collaboration, surtout dans une entreprise internationale d’une telle ampleur. Lors du lancement d’une nouvelle structure organisationnelle,   par   exemple, il convient de tenir compte des coutumes locales. En tant que Belges, une structure plane et ouverte nous est familière, alors que les Sud-Coréens partent quant à eux d’une structure éminemment hiérarchisée. Ces différences sont enrichissantes, elles offrent une tout autre perspective à la direction d’une équipe internationale et à une collaboration réussie. »

Dans notre pays, l’on se plaint très régulièrement du manque d’entreprenariat. Quel est votre regard à ce sujet ?

« J’ai le privilège de travailler avec de nombreuses nationalités et si je dois faire une comparaison, je trouve que les Belges sont vraiment entreprenants. Nous voulons développer de nouvelles choses nous- mêmes et nous entamons volontiers des collaborations afin de réaliser nos objectifs. Nous ne manquons donc pas d’esprit d’entreprise. Le problème réside surtout dans notre structure publique complexe et dans les manèges administratifs qui s’ensuivent et qui découragent l’entreprise. C’est dommage, car un entrepreneur sommeille en chacun de nous. »

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