Dominique Persoone: l'histoire d'un acrobate du goût

UN OUTSIDER

Depuis ses débuts dans le secteur de la chocolaterie, ily a 25 ans, Dominique Persoone est connu pour  ses  créations  originales.  Son approche unique semble venir de sa formation. « Normalement, les chocolatiers suivent une formation de  boulanger- pâtissier, après quoi ils sont formés pour devenir chocolatiers. Cela signifie qu’ils sont entraînés à respecter scrupuleusement une recette bien déterminée. Moi, en revanche, j’ai fait l’école hôtelière. J’ai donc un bagage de cuisinier, ce qui confère une approche totalement différente, qui  consiste  à  tester  et à goûter plutôt qu’à suivre des recettes établies. Les cuisiniers font d’abord des essais et jugent seulement après, tandis que certains   chocolatiers   ou   pâtissiers  jugent (et condamnent) avant même d’avoir testé. Lorsque j’ai commencé à créer des pralines, on m’a pris pour un farfelu. Un chef qui fait des pralines, c’était vraiment  inimaginable. Le public n’était pas prêt non plus, à l’époque, à découvrir toutes ces nouvelles saveurs et associations. Maintenant, si. Il est de plus en plus ouvert aux nouveautés et fait volontiers des découvertes. » Alors qu’autrefois il était perçu comme un outsider aux idées folles, Dominique Persoone est à présent très estimé, en Belgique et surtout à l’étranger.

LES SAVEURS ET LES STRUCTURES

« Après 25 ans dans le domaine, je conçois généralement des pralines et des associa- tions de mémoire, parce que je me suis entretemps habitué à des saveurs et à des structures nombreuses et diverses. Lorsque j’imagine de nouvelles créations, je me concentre sur les cinq saveurs de base, à savoir le sucré, le salé, l’amer, l’acide et l’umami, tout en jouant sur les différentes structures. Nous utilisons toujours nos propres saveurs naturelles et préparons un maximum de choses nous- mêmes. Nous fabriquons, par exemple, notre propre praliné avec des noisettes que nous achetons en Italie et que nous faisons gril- ler.... Et ce n’est pas tout : nos collaborateurs aussi sont encouragés à se montrer créatifs. Ils peuvent travailler à de nouvelles idées deux à trois heures par semaine. »

PLANTATION

Il va sans dire que Dominique Persoone aime repousser    ses    limites.    Depuis  plusieurs années, il s’envole régulièrement pour l’Amérique Centrale et l’Amérique du Sud où il explore les racines du chocolat. En 2008, son livre « Cacao : les racines du chocolat », qui raconte son expédition  au  Mexique,  lui a valu d’être récompensé aux « World Cookbook Awards », qui sont un peu les Oscars des livres de cuisine. Un prix qui l’a placé réellement pour la première fois sur  la scène internationale. Et son amour du chocolat l’a mené encore plus loin. Ainsi, il cultive lui-même du cacao sur une grande plantation de 3,4 hectares au Mexique. Ses 3.200 plants de cacao produisent chacun en moyenne 800 grammes de fèves de cacao, ce qui équivaut à 1 kilo de chocolat avec une teneur en cacao de 80 % par arbre. « Sur  les 70 tonnes de chocolat que nous utilisons chaque année, seule une petite partie provient de notre propre plantation. Il n’empêche que travailler avec du chocolat tiré de ses propres arbres, c’est quelque chose d’unique. »

LE PARTAGE

Dominique Persoone le dit et le répète : il n’aime pas rester secret. Et ce ne sont pas des paroles en l’air. Pour lui, le partage d’in- formations est primordial. « Les chefs osent rarement se laisser aller aux confidences et gardent énormément de secrets pour eux. Or, pour évoluer en tant que personne et en tant qu’organisation, vous devez justement oser vous dévoiler. Ferran Adrià, le chef du légen- daire restaurant gastronomique espagnol El Bulli, m’a appris bien des choses importantes. Avant tout, il m’a fait comprendre que, si vous voulez réaliser quelque chose de créatif et que vous trouvez le résultat convaincant, vous ne devez surtout pas hésiter à persévérer. Et il partage tout son savoir. Littéralement. Il n’a aucun secret. En partageant vos informations, vous suscitez une vague d’énergie positive qui livre autant de réactions intéressantes. Vous ne pouvez donc qu’y gagner. » Pour Domi- nique Persoone, partager signifie également collaborer et réfléchir ensemble. Ainsi, il fait notamment partie du « Fat Duck Think Tank », le groupe de réflexion créatif du Britannique Heston Blumenthal, un autre chef légendaire.

DU TALENT

Dominique  Persoone  nourrit  sa  créativité en puisant son inspiration dans les musées d’art contemporain qu’il visite partout dans le monde. De plus, bon nombre de ses idées ont vu le jour en collaborant non seulement avec des Chefs, mais aussi avec des artistes et des musiciens. Cette créativité, cet émerveille- ment enfantin, le fait de continuer à rêver, est un talent que Dominique Persoone espère ne jamais perdre. Au contraire. « Il est crucial de savoir quels talents vous possédez et lesquels vous font défaut. Développer vos talents est bien plus gratifiant que vous concentrer sur des choses pour lesquelles vous êtes moins doué. Dans mon commerce, je suis le créa- tif, et c’est mon épouse Fabienne qui mène la barque des affaires. Aspect pour lequel je n’ai aucune prédisposition. En ce sens, nous nous complétons  parfaitement. »

DE L’INSTINCT

« La plupart des gens ont peur et manquent de confiance en eux », indique Dominique Persoone. « Mais si vous n’osez rien, vous n’arriverez jamais à rien non plus. Si vous tentez quelque chose et que vous échouez royalement, c’est dommage, mais c’est comme ça. Au moins, vous aurez essayé. Je n’ai encore jamais fait de véritable business plan. Je fonctionne plutôt à l’instinct. Si vous avez un projet en tête et que votre instinct vous dit “vas-y”, vous devez tenter votre chance et vous lancer. Notre boutique à Anvers est un bel exemple de cette façon  de voir les choses. Lorsque je suis entré pour la première fois dans ce bâtiment vide sur le Meir, toutes les possibilités sont littéralement apparues devant mes yeux. Nous devions absolument ouvrir un deuxième magasin ici. Cela devait se faire. D’ailleurs, mon instinct me dit aussi qu’il ne faut jamais se freiner pour des raisons purement financières. Vous ne pouvez jamais vendre votre liberté. Nous voulons apprendre, évoluer, développer des idées, pas pour l’argent, mais pour le plaisir et par enthousiasme, pas tant pour conquérir le monde que pour avoir la liberté de continuer à créer et de rechercher sans cesse de nouvelles limites. »

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