Un peu d’histoire pour bien comprendre
Le pacte successoral désigne une convention portant sur la succession d’une personne encore vivante. Si le concept est connu de longue date, il a très vite suscité la défiance. Dès le deuxième siècle, le droit romain interdit ce type de pacte, entre autres en raison de son caractère immoral, voire dangereux : une des parties ne serait-elle pas tentée d’abuser de la faiblesse de l’autre ou, pire, d’en précipiter le décès ?
Des exceptions à cette prohibition sont apparues au cours du temps. Au Moyen Âge, on contraint la future épouse à renoncer, dans le contrat de mariage, à ses droits dans la succession de ses parents en échange de sa dot, ou encore on oblige le cadet à renoncer, du vivant de son parent, à ses droits héréditaires au bénéfice de l’aîné. Voilà qui ne pouvait qu’inciter le législateur révolutionnaire français, animé par l’esprit des Lumières, à consacrer l’illégalité du pacte sur succession future dans le Code civil de 1804.
Répondre à l’évolution de notre société
Depuis quelques années déjà, des juristes se demandaient, si le pacte sur succession future était toujours autant contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs que cela était traditionnellement enseigné. De plus, les praticiens du droit ont constaté que le citoyen lui-même était demandeur de pouvoir régler sa succession de son vivant au moyen de conventions offrant prévisibilité et sécurité juridique, et ce afin de prévenir de possible conflits entre ses héritiers ou de trouver des solutions à des situations familiales particulières.
La réforme du Code civil de 2017 (entrée en vigueur en septembre 2018), ne pouvait dès lors faire l’impasse sur la question du pacte successoral. En digne héritier du Code de 1804, le nouveau Code civil belge maintient la prohibition de principe des pactes successoraux mais en autorise un certain nombre. Ces pactes successoraux autorisés sont toutefois soumis à des limitations. En outre, la loi prévoit une procédure de signature particulière qui requiert l’intervention d’un notaire, la tenue d’une réunion préalable à la passation de l’acte et un délai total qui ne peut être inférieur à six semaines. L’objectif de ce formalisme est de s’assurer que les parties ont bien pesé toutes les conséquences du pacte successoral.
Les pactes successoraux ponctuels
Les pactes successoraux ponctuels ont pour objet un point spécifique d’une donation ou d’une succession. Ainsi il peut être recouru à un pacte ponctuel pour rendre incontestable la valeur du bien donné ou pour contraindre les héritiers réservataires à accepter que la part de la succession dont ils ne peuvent être privés, la « réserve », soit entamée par une donation.
Le « rapport pour autrui » est un autre exemple. Imaginons le cas de Pauline qui souhaite faire une donation de 50.000 euros à chacun de ses cinq petits-enfants. Pauline craint, en faisant cette donation, de favoriser la famille de sa fille Sophie qui a trois enfants, au détriment de celle de son fils, Arnaud, qui n’en a que deux. Au moyen d’un pacte successoral prévoyant le « rapport pour autrui », Sophie et Arnaud peuvent s’engager à considérer les donations consenties à leurs enfants comme s’il s’agissait de donations qu’ils auraient reçues de leur mère, Pauline, en avance sur leur part d’héritage. Au décès de Pauline, Antoine n’ayant reçu virtuellement que 100.000 euros, alors que Sophie en aura reçu, toujours virtuellement, 150.000 euros, cette dernière devra prendre 50.000 euros de moins dans le partage de la succession pour rétablir l’égalité entre eux [1]. Sans le pacte, cette compensation n’aurait pas eu lieu car les petits-enfants ne sont pas héritiers de Pauline et les donations qui leur ont été consenties ne peuvent donc l’être en avance sur une part d’héritage.
Au nombre des pactes successoraux ponctuels on compte encore le pacte « Valkeniers », probablement plus connu car il a fêté ses 20 ans cette année, qui permet aux époux (futurs ou non) dont l’un au moins a des enfants d’une précédente relation, de renoncer partiellement ou totalement à leurs droits dans la succession de l’autre par le biais d’une clause dans le contrat de mariage ou d’un acte modificatif du régime matrimonial.
Le pacte successoral global
À côté des pactes ponctuels, le législateur belge a innové en créant le pacte successoral global : un parent peut établir, avec l'ensemble de ses héritiers présomptifs en ligne directe descendante (ses enfants, et en cas de prédécès de l’un d’eux, les éventuels petits-enfants) un pacte qui a pour objet de constater l'existence d'un équilibre entre ces héritiers présomptifs eu égard notamment aux donations et avantages que le parent leur a octroyés. Le conjoint peut intervenir au pacte pour y consentir ce qui entrainera, sauf stipulation contraire, renonciation à son droit de réclamer la réduction des donations qui entament sa réserve.
Le pacte successoral global peut également être établi conjointement par les parents relativement à leur succession auquel cas l’équilibre entre les héritiers présomptifs peut être atteint en tenant compte globalement des donations et avantages respectivement consentis par chacun des parents [2].
L’objet du pacte successoral global est de constater l’existence d’un équilibre subjectif entre les enfants (et dans certains cas les petits-enfants) et non pas d’une égalité. Il n’est donc pas requis que chacun d’eux ait obtenu une même valeur.
Cet équilibre peut être atteint en tenant compte notamment :
Les donations et avantages doivent être valorisés dans le pacte successoral et cette valorisation est définitive. Elle ne pourra plus être contestée par les parties.
En signant le pacte successoral global, les parties renoncent à toute action en réduction ou demande de rapport des libéralités mentionnées dans le pacte. Autrement dit, elles consentent à ne plus jamais discuter des donations reprises dans le pacte quand bien même elles empièteraient sur leur réserve et à ne pas en tenir compte pour le partage de la succession.
Dans le pacte successoral global, un héritier présomptif peut décider que ses propres enfants soient gratifiés à sa place et ainsi réaliser un saut de génération. Le parent peut également gratifier un ou plusieurs enfants de son conjoint ou cohabitant légal au moyen du pacte successoral global et ainsi immuniser cette donation d’une éventuelle réduction.
On le voit, le pacte successoral global permet de sécuriser des arrangements familiaux.
Sur le plan fiscal, les donations de biens mobiliers qui n’ont pas été enregistrées, mentionnées dans un pacte successoral global, sont exemptes de droits de donation moyennant la déclaration des parties que ces donations ont été consenties antérieurement au pacte (et, en Wallonie, une demande expresse d’exonération). Il est toutefois possible de requérir, dans le pacte, l’enregistrement de ces donations pour éviter une éventuelle taxation aux droits de succession en cas de décès du donateur dans les 3, 5 ou 7 ans (selon la Région et, en Flandre, l’objet de la donation) qui suivent la donation.
Par contre, les donations consenties à l’occasion de la conclusion du pacte successoral global seront soumises aux droits d’enregistrement.
Enfin, la somme qui, aux termes du pacte, serait due à un héritier présomptif sera neutre fiscalement en Flandre (sauf si elle a pour but de compenser une nouvelle donation consentie dans le pacte successoral) alors que dans les deux autres Régions du Royaume, elle sera taxée comme donation.
Pour conclure
L’interdiction du pacte successoral a été partiellement levée pour répondre à des besoins de prévisibilité et de sécurité juridique dans le cadre des successions, et pour apporter des solutions à des situations familiales plus ou moins complexes. C’est un puissant outil qui est mis à disposition du citoyen. Il ne manque certainement pas de chantiers où il pourrait s’avérer utile.
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